Il y a 15 jours jâassistais Ă un colloque oĂč des chercheurs en philosophie, Ă©thique, sociologie et plein dâautres sciences molles aux noms mystiques, enchainaient les prĂ©sentations pour tenter dâapporter une rĂ©ponse Ă cette question -ma foi- essentielle : quâest-ce quâune bonne sĂ©rie ? Leur approche Ă©tait trĂšs diffĂ©rente de la mienne et ces deux jours dâeffluves intellectuelles furent conclus dâune belle maniĂšre avec une table ronde invitant trois critiques de sĂ©ries reconnus -travaillant entre autres pour Le Monde, TĂ©lĂ©rama et Le cercle, soit quelques media un poil plus mainstream que CĂŽtĂ© SĂ©ries.
Inspiré par les interventions données et les réflexions que je me traine depuis bien des années, je vous livre dans ce nouvel édito ma réponse à cette question et deux voisines, en 10 minutes top chrono. Bonne lecture/écoute à toutes et tous !
I. Quâest-ce quâune sĂ©rie ?
II. Quâest-ce quâune bonne sĂ©rie ?
III. Quâest-ce quâune bonne critique de sĂ©rie ?
Avant de dĂ©blatĂ©rer sur ce sujet, je remercie tous les nouveaux et nouvelles abonné·es de me suivre, je vous pose mon Insta lĂ car il complĂšte bien la newsletter et si vous vouliez une petite sĂ©lection plutĂŽt quâun Edito : voici ma derniĂšre watchlist Netflix et un guide sur quoi mater avec son bail !
I. Quâest-ce quâune sĂ©rie ?
Depuis longtemps les sĂ©ries remplissent les grilles des programmes TV, suivant un calendrier scolaire avec ses saisons, ses vacances. Un format du quotidien, assez intime, populaire, qui sâinscrit sur la durĂ©e, avec des personnages reconnaissables, souvent attachants, qui Ă©voluent, lentement, comme leurs spectateurs. Les intrigues se bouclent Ă lâĂ©pisode permettant de ne pas ĂȘtre perdu si on en rate quelques uns. Avec lâessor des chaines du cĂąble elles se sont ensuite densifiĂ©es. Les saisons ont fondu de moitiĂ© privilĂ©giant une intrigue complexe et exigeante sur toute une saison. Hello HBO.
Puis lâavĂšnement du streaming a bouleversĂ© les codes et changĂ© notre mode de consommation, renforçant le cĂŽtĂ© addictif du format, disponible Ă la demande, tout dâun coup, avec un catalogue vaste et impĂ©rissable. Hola Netflix. Chacun peut dĂ©sormais faire sa tambouille comme il lâentend, quand il lâentend, oĂč il lâentend, avec ou sans sous-titres. Notre façon de les regarder a bien changĂ©, tout le monde nâen attend pas la mĂȘme chose, allant du simple voire bĂȘte divertissement Ă une Ă©popĂ©e intense engagĂ©e et artistique.
Aujourdâhui les mini-sĂ©ries ne cessent de gagner en popularitĂ©, se distinguant par une fin annoncĂ©e dĂšs son dĂ©but. Une seule saison qui comprend parfois que quelques Ă©pisodes, se regardant comme un long film (Dans leur regard (Netflix)). Elles reprennent alors davantage les codes du cinĂ©ma, elles sont âun gesteâ comme disait Ă juste titre Pierre Langlais et sâĂ©loignant de la sophistication, de la diversitĂ© et de la longĂ©vitĂ© du genre. Plus rĂ©cemment sur Netflix sortait Entergalactic, conçu comme une sĂ©rie, le contenu est finalement sorti dans la catĂ©gorie film, capturant les 6 Ă©pisodes de 15 minutes dans un seul lecteur vidĂ©o bien quâaffichant explicitement Ă lâimage son dĂ©coupage originel. En parallĂšle de quoi lâindustrie cinĂ©matographique ne cesse de vouloir saga-iser ses succĂšs, les faisant perdurer et parfois mĂȘme se recouper avec le petit Ă©cran. Guten tag le MCU. Et il est clair que la porositĂ© sâamincit du cĂŽtĂ© des crĂ©ateurs et producteurs puisque les ressources nĂ©cessaires se confondent. De quoi brouiller encore plus les pistesâŠ
Une sĂ©rie est une Ćuvre audiovisuelle destinĂ©e Ă la tĂ©lĂ©vision, elle se dĂ©coupe en plusieurs Ă©pisodes qui peuvent former une ou plusieurs saisons.
Bon bah câĂ©tait pas si dur, je lâavoue de trouver une courte dĂ©finition contenant lâessentielle. Je souligne dĂ©jĂ que, pour moi, une sĂ©rie qui sâĂ©loigne de cette essence, ne sâattire pas mes faveurs. Je veux dire par lĂ quâune sĂ©rie de 4 Ă©pisodes ou moins -mĂȘme longuets- nâaura pas lâĂ©toffe suffisante pour mâimpressionner, Unorthodox (Netflix) je pense Ă toi. Jâajouterai que jâattends dâune sĂ©rie quâelle soit une Ćuvre (avec une dimension artistique) et non un produit remplissant un catalogue paramĂ©trĂ© de sorte Ă ce que le temps file et basta cosi.
II. Quâest-ce quâune bonne sĂ©rie ?
Bon je vous jure quâaprĂšs 48h dâautopsie une clarification limpide ne fait pas de mal avant dâanalyser ce quâest une bonne sĂ©rie, cet art populaire coincĂ© entre le âjoug Ă©litisteâ du cinĂ©ma et le âprolĂ©tariatâ du journal tv comme disait Thibaut de Saint Maurice.
Je me dois dâabord de diverger un temps de mes cousins acadĂ©miciens sur lâimportance du genre. En forçant le trait je dirais bien que câest une question de libraire et dâintellectuel·e que de chercher Ă classer Ă tout prix une Ćuvre dans une case et classer ensuite ces cases-lĂ . Je ne crois pas que certains genres priment sur les autres, Ă ce titre lâhĂ©gĂ©monie du drame dans les fictions mâa toujours Ă©chappĂ© mais câest une autre histoire.
Bien sĂ»r, chaque sĂ©rie tient majoritairement dâun genre en particulier et la qualitĂ© sâexprime dâabord au sein de celui-ci. Une comĂ©die dĂ©pourvue dâhumour ou pire, lourde comme pas deux, ça ne va pas le faire (Le Flambeau, myCanal, tu te reconnaĂźtras). Ceci Ă©tant dit, une bonne sĂ©rie ne se limite pas à ça. Je crois que mes sĂ©ries prĂ©fĂ©rĂ©es puisent dâailleurs souvent dans plusieurs genres Ă lâinstar de Years and Years (myCanal), Ă la fois une dystopie et un drame familial et de Barry (OCS), une comĂ©die pleine dâactions. En fait je mâen fous quâune comĂ©die dure 40 minutes et un drame 25, tant que ça la sert. Jâadore les drames qui me font rire (Succession, OCS) et les comĂ©dies qui me font pleurer (How I Met Your Mother, Disney+, tu as mal vieilli mais tu mâen as tirĂ© pas mal des larmichettes). Une bonne sĂ©rie câest de lâart, et elle saura comme lui sâaffranchir des codes, proposer quelque chose de nouveau.
Il y avait dĂ©bat sur lâimportance de lâoriginalitĂ©, pourtant ça me semble essentiel. Une bonne sĂ©rie trouve sa voix et doit se dĂ©marquer des autres dâune maniĂšre ou dâune autre. Une simple copie dâune sĂ©rie Ă©trangĂšre ou ancienne fonce dans le mur, elle sonnera faux (promis je ne ferai plus rĂ©fĂ©rence Ă La Flamme (myCanal) aprĂšs ça, je peux parler de Mouche sur Canal+, pale clone de Fleabag, Amazon Prime). Si on parle dâadaptation ce nâest pas pour rien, la nouvelle sĂ©rie peut rĂ©ussir mais elle doit dire quelque chose de son nouveau contexte. Et quand on observe le grand nombre de sĂ©ries provenant dâĆuvres littĂ©raires, cette notion dâoriginalitĂ© prend davantage de sens, nâest-ce pas Vernon (myCanal) qui a sali en quelque sorte dâexcellents souvenirs de lecture. En dâautres termes une bonne sĂ©rie est celle quâon pourra utiliser comme future rĂ©fĂ©rence et câest en partie Ă ce titre que je nâhĂ©siterai pas une seconde Ă qualifier Euphoria (OCS) de (trĂšs) bonne sĂ©rie et adaptation.
Durant le colloque dâautres critĂšres que je partage revenaient souvent, comme la complexitĂ©, la sĂ©rialitĂ© (câest Ă dire sa durĂ©e, que je souhaite porteuse dâĂ©volution, de variation comme lâa sublimement fait Breaking Bad (Netflix)), lâĂ©motion. Oui, je crois que jâattends dâune sĂ©rie quâelle me touche, que ce soit par les rires, les larmes ou un rebondissement de type oh wow, et si ça peut ĂȘtre les trois Ă la fois comme avec le dessin animĂ© italien A dĂ©couper selon les pointillĂ©s (Netflix) câest parfait. Je veux quâelle suscite quelque chose en moi, quâelle me fasse rĂ©flĂ©chir, douter, changer, quâelle me sensibilise ou quâelle mâĂ©duque comme ont su le faire I may destroy you (OCS) et This is going to hurt (myCanal). Câest bien en suscitant des Ă©motions quâune sĂ©rie fĂ©dĂšre. Elle invite Ă comparer nos introspections et jâaimais bien la façon dây rĂ©pondre de Sylvie Allouche durant le colloque, Ă savoir quâest-ce quâune bonne sĂ©rie pour moi ? Et comme elle, les personnages jouent une part considĂ©rable de mon apprĂ©ciation. Quâils soient attachants ou simplement fascinants, je ne connais pas une bonne sĂ©rie qui nâa pas de protagoniste marquant, emblĂ©matique, intrigant et naturellement, bien jouĂ©. Et les relations qui les lient sont toutes aussi importantes, la dynamique et lâalchimie doivent ĂȘtre prĂ©sentes et la rĂ©cente mini-sĂ©rie Le monde de demain (Arte, Netflix) est un exemple en la matiĂšre.
Je crois que quand on parle dâune sĂ©rie on en dit sĂ»rement autant sur soi, sa sensibilitĂ© propre, que sur lâĆuvre en elle-mĂȘme. Les goĂ»ts sâexpriment au delĂ de lâexpertise âobjectiveâ qui ne peut pas -et ne doit pas- se priver de la subjectivitĂ© de celui qui regarde. Et si lâon Ă©tait une vingtaine enfermĂ© dans cette petite salle de la Sorbonne pendant deux jours Ă dĂ©battre, câest bien parce cet art populaire est profondĂ©ment humain, intime, variĂ©, fascinant. Une bonne sĂ©rie est une sĂ©rie qui accompagne le spectateur mĂȘme une fois terminĂ©e, qui donne envie dâen parler. Or savoir en parler est une question tout aussi riche qui mâamĂšne Ă cette derniĂšre interrogation : quâest-ce quâune bonne critique de sĂ©rie ?
III. Quâest-ce quâune bonne critique de sĂ©rie ?
Je suis dâaccord avec la vision de Charlotte Blum sur le fait que le-la critique de sĂ©rie a une mission de conseil envers ses lecteur·ices ou auditeur·ices. Je crois quâiel doit tirer profit de sa culture sĂ©rielle pour juger entre autre de lâoriginalitĂ© de lâĆuvre -un des critĂšres retenus plus haut-, de la qualitĂ© dâexĂ©cution au sein de son ou ses genres, de sa cohĂ©rence, souligner sa complexitĂ©, expliciter les rĂ©fĂ©rences. Le tout en restant honnĂȘte. Eviter les biais. Les critiques envers Les anneaux de pouvoir (Amazon Prime) sur fondements racistes ne sont pas bonnes, non. La sĂ©rie nâest pas bonne non plus mais ça aussi câest une autre histoire.
A cette approche mĂ©tier, je dirais quâune bonne critique sait mettre les bons mots sur des ressentis, elle verbalise des Ă©motions. Elle argumente, sâappuie sur des Ă©lĂ©ments objectifs pour dĂ©montrer son propos. Câest peut-ĂȘtre lĂ son dĂ©fi principal, cet effort dâarticulation entre tous les critĂšres mentionnĂ©s plus haut. Savoir conjuguer fond et forme. A quoi sert ce plan ? Pourquoi avoir choisi cette technique ? LâintĂ©rĂȘt de cette ellipse ? Montrer comment les choix artistiques parachĂšvent la promesse narrative. En ce sens, la bonne critique se veut pĂ©dagogue, elle explique les ressorts magiques de la production au spectateur tout comme elle sait remonter les faiblesses visibles Ă lâĂ©cran aux crĂ©ateurs. Son rĂŽle est essentiel et facilite le dialogue entre les diffĂ©rentes parties prenantes sĂ©parĂ©es par lâĂ©cran. Câest bon jâai lĂ©gitimĂ© cette newsletter-lĂ ?
Je crois quâune bonne critique se doit dâĂȘtre bienveillante, elle ne doit pas ĂȘtre compliquĂ©e ou pompeuse. Jâaime une critique qui vulgarise car on parle bien dâun art populaire. Ca nâengage que moi mais je crois quâune critique sur une sĂ©rie sĂ©rieuse gagne Ă lâĂȘtre, une autre sur un sujet drĂŽle y gagne aussi. Jâaime lâidĂ©e dâune critique qui sâadapte Ă sa muse tout en gardant la patte de celui ou celle qui lâĂ©crit. Câest du moins mon parti pris.
Ceci Ă©tant dit, je me focalise un peu trop sur la bonne critique dâune bonne sĂ©rie car si je peux vous avouer un truc, mes critiques prĂ©fĂ©rĂ©es portent sur des sĂ©ries qui mâont dĂ©plu. Je ne saurai lâexpliquer, un certain vice qui ressort peut-ĂȘtre, bon on est pas lĂ pour faire ma psychanalyse mais il y a quelque chose de grisant lĂ -dedans, un esprit de justice bien formulĂ©, sans mauvaise foi Ă©videmment, qui pointe ce quâon aurait aimĂ© ne pas voir. Et je crois bien que je ne suis pas le seul puisque ma critique de La Flamme et du Flambeau (ouai bon jâai craquĂ© jâen reparle, et alors ?) est la plus lue Ă ce jour ! Dans la mĂȘme veine celle que jâavais Ă©crite pour la saison 1 de ValidĂ© il y a deux ans reste ma favorite (?).
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