#6 Critique - ValidĂ© đâ Pourquoi c'est nul ?
Rap Français - Envie de Percer - Rebondissements - Humour - Vie à la cité - Action - Bande de pote - Trafic de drogue
Avec la popularité intarissable du rap français, Canal+ a dégainé à point nommé Validé lors du premier confinement, avec l'ambition d'en faire une des nouvelles références de la chaßne. Et c'est chose faite, le succÚs public est immédiat et les critiques sont favorables. Si bien que Frank Gastambide (Taxi 5, Les Kaïras) et son équipe ont remis le couvert avec une saison 2 inédite. Un retour attendu au vu de ses audiences mais la série est elle vraiment à la hauteur du phénomÚne ?
Alors quâest-ce que ça raconte ? đ
ClĂ©ment, aka Apash, veut percer dans le rap depuis son enfance. Talentueux, il se fait remarquer en clashant en direct Ă la radio la star du game, une prestation qui lui ouvre les portes des maisons de disque et producteurs. Mais alors quâil est en passe d'ĂȘtre validĂ© par ce milieu quâil convoite tant, les ennuis le rattrapent et se multiplient...
I. Pourquoi la sĂ©rie sonne creux ? đ
Que les choses soient claires, on parle bien ici d'une déception, qui s'installe au fil de la qualité décroissante des épisodes. Mais il est vrai que comme dans tout pétard mouillé tout n'est pas à jeter.
On peut affirmer sans hĂ©sitation que l'immersion est rĂ©ussie. Les scĂšnes dans lâĂ©mission culte PlanĂšte Rap nous plongent tout de suite dans lâambiance chaude et testostĂ©ronĂ©e du rap jeu avec un premier freestyle de talent du protagoniste. EpaulĂ© par le budget consĂ©quent de Canal+, on a le droit Ă plusieurs plans jouissifs au VĂ©lodrome ou au Zenith de Paris. Et on en redemande tant on manquerait presque de scĂšnes oĂč Apash sâadonne Ă sa passion. Quitte Ă utiliser un rappeur en tant quâacteur, faisons le rapper ! Or on ne le voit jamais Ă©crire, s'entraĂźner, enregistrer, sâinterroger sur la musicalitĂ©, ses textes, les instrus⊠Sans parler du fait quâil ne doute jamais de son talent et ça en devient un peu gĂȘnant.Â
En fait ValidĂ© ne s'intĂ©resse pas tant au rap comme art mais plutĂŽt comme industrie. Pourquoi pas, câest mĂȘme trĂšs intĂ©ressant. La sĂ©rie fait un Ă©tat des lieux assez exhaustif de ce business lucratif complexe oĂč les problĂ©matiques sont nombreuses en coulisses : clashs belliqueux, exigences des maisons de disque, sacrifices personnels pour le sacro-saint marketing, enjeux des dates de sorties dâalbums mais aussi des sujets plus Ă©conomiques comme les achats dâĂ©coutes en streaming ou le besoin de financement dâun clip. Mais tout est traitĂ© de maniĂšre superficielle, les thĂšmes Ă©voquĂ©s sont plus des ressorts scĂ©naristiques que des critiques du systĂšme actuel. La sĂ©rie ne dit rien de plus que leur existence et câest dĂ©cevant car les opportunitĂ©s sont nombreuses -presque trop- mais elles ne sont ni saisies ni creusĂ©es. On nâapprend pas grand chose. Dommage.
Pourtant ce n'Ă©tait pas faute d'avoir conviĂ© du monde : la sĂ©rie accueille une ribambelle de stars (Lacrim, Ninho, Rim'K, Kool Shen, Gringe...) et de mĂ©dias rap mais on dirait qu'Ă part se montrer, personne n'a rien Ă dire. RĂ©sultat : on court au grand n'importe quoi, tant que c'est Ă toute vitesse. Alors est-ce reprĂ©sentatif dâun milieu oĂč lâimage et la moula prĂ©valent sur le reste ? Peut-ĂȘtre. Pourtant, la sĂ©rie effleure aussi les sujets de banlieues dĂ©laissĂ©es, de disparitĂ©s Ă©conomiques et mĂȘme des violences judiciaires. Le problĂšme câest que ces sujets ne sont encore une fois pas traitĂ©s. On est trĂšs loin de lâexploration dâun problĂšme de fond complexe et gris comme lâavait remarquablement mis en lumiĂšre Les misĂ©rables en 2019. Ici, ce ne sont que de simples pĂ©ripĂ©ties, presque des anecdotes qui servent un scĂ©nario rocambolesque qui ne tient pas la route, et câest lĂ que la dĂ©ception sâinstalle.
II. Pourquoi finit-on par dĂ©crocher ? đ§ââïž
Si on parle de dĂ©ception câest bien parce quâaprĂšs un premier Ă©pisode aussi explosif, on pouvait sâattendre Ă une vraie tuerie. Or on nâa pas eu celle quâon croyait et la sĂ©rie fonce droit dans le mur dans le dernier tiers de la saison. La cohĂ©rence du scĂ©nario a clairement Ă©tĂ© sacrifiĂ©e au profit de rebondissements aussi improbables quâinutiles (hello les scĂšnes dâaction risibles Ă La Casa de Papel), et on finit par dĂ©crocher. La sĂ©rie va vite, trop vite, si vite quâen quelques heures dĂ©jĂ elle se rĂ©pĂšte. A vouloir en mettre plein la vue, on ne regarde mĂȘme plus. Dommage, dommage.
Et franchement c'est pas de notre faute. La structure narrative de chaque Ă©pisode est la mĂȘme. DĂšs quâil se passe quelque chose de bien, un problĂšme arrive ; et dĂšs quâil est solutionnĂ© et que les planĂštes sâalignent boum, tout repart en sucette⊠Et ainsi de suite. La sĂ©rie use et abuse de cliffhangers lourds et attendus, si bien quâon se dĂ©sinvestit de chaque nouvelle pĂ©ripĂ©tie tant on sait quâelle sera bientĂŽt rĂ©solue, avant quâune autre plus terrible encore ne pointe le bout de son nez. Au fur et Ă mesure des Ă©pisodes, on ne se rĂ©jouit plus, on ne sâinquiĂšte plus, on sâen foutrait presque tant la sĂ©rie est devenue prĂ©visible dans son incohĂ©rence.
On adhĂšre donc de moins en moins Ă ces scĂšnes d'action -bien quâelles soulignent la bonne rĂ©alisation et lâoriginalitĂ© de certaines mises en scĂšnes. En tĂ©moigne la fin en apothĂ©ose du dernier Ă©pisode. Est-on vraiment surpris ? Les cinq premiĂšres secondes bien sĂ»r, mais davantage pour la brutalitĂ© de la scĂšne quâautre chose. On avait dĂ©jĂ tout vu dans cette saison donc il ne manquait plus que ça finalement.
Globalement, le trafic de drogue et les embrouilles dans lesquelles Apash est coincĂ© prennent une place prĂ©pondĂ©rante et finissent par relayer la musique (et son business) au second plan. Mais Ă part ajouter quelques twists et de la violence, quâest ce que ça apporte ? quâest-ce que ça nous dit des personnages ? de la citĂ© ? du rap ? Rien. Cela ne fait que renforcer le problĂšme de vraisemblance du scĂ©nario. On prĂ©fĂšre oublier lâĂ©pisode du go fast et son Ă©pilogue lunaire qui a autant de sens quâune histoire de Serge le Mytho, lâhumour en moins.Â
ValidĂ© tombe donc dans le sensationnalisme et si ce rythme intense Ă©tait parfait pour lancer lâintrigue, on aurait aimĂ© que la sĂ©rie prenne son temps par la suite, quâelle varie les plaisirs plutĂŽt que de nous servir 10 fois le mĂȘme plat. Tout ce qui sâapproche de Mounir aurait dĂ» faire lâobjet dâun Ă©pisode ou deux, mais pas plus. Et pourquoi ne pas utiliser des flashbacks pour montrer leur rencontre, le dĂ©but de leur collaboration ? Lâoccasion de donner de la profondeur aux personnages et complexifier les enjeux du prĂ©sent. Mais on ne voit rien de tout ça et personne nây a certainement rĂ©flĂ©chi. On aurait aimĂ© que ValidĂ© se consacre davantage Ă la vie quotidienne de ses protagonistes : le chemin du succĂšs est une intrigue suffisante et avec les intĂ©rĂȘts divergents dâApash et Mastar, leur maison de disque, les connaissances du quartier, son ancien mentor etc⊠il y avait bien de quoi sustenter deux saisons de pĂ©ripĂ©ties.Â
Pourquoi ne pas prendre son temps ? ValidĂ© veut jouer sur tous les tableaux et ce Ă chaque Ă©pisode. Le rendu final est brouillon voire grossier. On attendait de la sĂ©rie quâelle aille plus lentement, quâelle s'Ă©tende sur ses personnages et leur rapport Ă la musique. Seulement câest bien lĂ le cĆur du problĂšme, les protagonistes se dĂ©finissent avec deux qualificatifs chacun et si on dĂ©croche autant câest aussi parce quâon ne sâidentifie Ă aucun.
III. Pourquoi les personnages posent-ils problĂšme ? đ€Šđ»ââïž
Autant on pouvait (presque) tolĂ©rer les nombreuses incohĂ©rences et inconsistances du scĂ©nario, sacrifiĂ© -on le rĂ©pĂšte- sur lâautel du divertissement et des rebondissements en pagaille ; autant lâabsence de travail des personnages devient agaçante et nâa aucune contrepartie. Que ce soient leurs personnalitĂ©s uni-dimensionnelles ou les relations caricaturales qui les lient, il nây a pas grand chose Ă sauver.
A commencer tout simplement par leurs noms, proches dâune description pour public malvoyant, MaStar et Karnage, une sacrĂ© paire. Mais en analysant leur âpsychologieâ, leurs noms paraissent presque subtils. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les personnages se dĂ©finissent par un seul trait de caractĂšre qui leur colle Ă la peau depuis le premier Ă©pisode. Il nây a aucun dĂ©veloppement et câest trĂšs dĂ©cevant pour une sĂ©rie de cette envergure tant cela rend lâensemble des protagonistes caricaturaux et terriblement prĂ©visibles. Et personne nâest Ă©pargnĂ©.
Du cĂŽtĂ© des gentils, Brahim passe progressivement de benĂȘt Ă lourd, et on retient -malgrĂ© nous- le quiproquo gĂȘnant sur Lartiste et Chocolat. Câest frustrant car on rigole vraiment lors des premiers Ă©pisodes, les tranches de vie Ă la citĂ© sont rĂ©ussies et ValidĂ© montrait une vraie patte comique avec ses dialogues naturels et efficaces. Mais lâhistoire se rĂ©pĂšte, les blagues aussi, les rires beaucoup moins.
Du cĂŽtĂ© des mĂ©chants difficile de faire plus grotesque, ne manquait plus que Les mĂ©chants dâHeuss lâenfoirĂ© en bande son Ă chacune de leur apparition pour enfoncer le clou. Encore une fois, un petit flashback sur les dĂ©buts de MaStar ou un sourire de Mounir nâauraient pas fait de mal. A la place on nous sert Karnage, un taulard qui fait peur, une fois, deux fois, trois fois -bon Ă chaque fois car il fait vraiment peur- mais câest bien lĂ le souci car il ne sait rien faire d'autre. On nâattend pas de lui quâil devienne "gentil" mais sâil pouvait Ă©viter dâĂȘtre sa propre parodie en deux scĂšnes seulement ce serait pas mal.Â
On peut comprendre que les personnages soient ainsi au premier Ă©pisode, en revanche pas au bout du dixiĂšme. On aurait aimĂ© ĂȘtre surpris -non pas par un Ă©niĂšme saccage de maison de disque- mais plutĂŽt par une bonne action de Mastar, qui est quand mĂȘme sacrĂ©ment vindicatif. Que le clash soit aussi long et intense entre le roi du rap et un petit nouveau, câest quand mĂȘme pas hyper crĂ©dible. Et que son producteur et meilleur ami le trahisse pour ce mĂȘme petit nouveau, câest franchement pas croyable.Â
En fait, câest comme si les personnages nâavaient pas eu de vie avant ce fameux planĂšte rap ou que leurs personnalitĂ©s Ă©taient figĂ©es depuis. Bien sĂ»r, certains sâen sortent mieux et relĂšvent le niveau, notamment William, ou mĂȘme ClĂ©ment. Manquerait plus quâil meurt. Oups.
Alors quâest ce quâon en retient ?
Globalement ValidĂ© trouve plus sa place par manque de concurrence qu'autre chose. La sĂ©rie se regarde facilement et il vaut mieux enchaĂźner les Ă©pisodes pour pouvoir les apprĂ©cier. MalgrĂ© cette astuce, on voit vite la sĂ©rie quâon aurait aimĂ© voir plus que celle quâon a Ă lâĂ©cran et si la rĂ©alisation est bonne, câest lâĂ©criture qui fait dĂ©faut : scĂ©nario bancal, problĂšme de rythme et surtout personnages unidimensionnels, dont les pĂ©ripĂ©ties nous effleurent plus quâelles ne nous touchent.Â
Donc c'est peut ĂȘtre pas plus mal de repartir Ă zĂ©ro en seconde saison, qui plus est en sortant des sentiers battus avec un personnage fĂ©minin en premier rĂŽle. Un choix intĂ©ressant qui laisse de la place Ă plus de fond, mais la sĂ©rie va-t-elle dire quelque chose de lâhĂ©gĂ©monie masculine du rap français ou va-t-elle simplement sâen servir pour crĂ©er deux trois embrouilles autour dâun joint avec une trace de rouge Ă lĂšvres ? Au vu de la premiĂšre saison, on nâest pas trĂšs optimiste. Mais quâils me fassent mentir !
Les noms Ă retenir
Franck Gastambide, créateur, scénariste, réalisateur et acteur, rien que ça.
Hatik, rappeur français qui tient le premier rĂŽle et qui a profitĂ© dâĂȘtre propulsĂ© sur le devant de la scĂšne pour sortir son titre Angela, carton assurĂ©, mode grosse tĂȘte activĂ©e.
Bosh, lâeffrayant Karnage quâon avait pas prĂ©vu de retenir mais qui a sorti le tubesque Djomb et un album plus dark dans la foulĂ©e.
Les sĂ©ries dans le genre quâon lui prĂ©fĂšre
Narvalo, pour un aperçu bienheureux des galÚres de cité et ses anecdotes un peu plus réalistes et tout aussi divertissantes.
Dave (aka Lil Dicky), pour suivre un autre rappeur et son ascension dans le Rap Game (US cette fois), qui rĂ©ussit lĂ oĂč ValidĂ© peine : des personnages humains et attachants.
Atlanta, pour sâimmerger dans un foyer du rap US, oĂč lâon retrouvera un vrai lot dâaction et de galĂšres parfois absurdes et anxiogĂšnes mais avec un propos plus engagĂ©.