#4 - Critique - Sex Education đđ : Pourquoi on a tout simplement hĂąte de la saison 3 ?
Adolescence - Découvertes sexuelles - Bromance - Acceptation de soi - Vie de famille - Féminisme - LGBTQ+ - Amour et Amitié - Ambiance lycée
Difficile de passer Ă cĂŽtĂ© tant on en a entendu parler au cours des derniĂšres annĂ©es, je parle bien sĂ»r de Sex Education, (enfin) de retour ce vendredi. La sĂ©rie a hĂ©ritĂ© de lâhumour rock et dĂ©calĂ© des British et de la rĂ©alisation lĂ©chĂ©e et de lâinclusivitĂ© dâune sĂ©rie Netflix. Un mĂ©lange addictif qui balaye au cours de ses deux premiĂšres saisons un grand nombre de problĂ©matiques adolescentes, et pas que. Car si Sex Education nous fait rire avec son lot de scĂšnes fortuites propres Ă lâadolescence : premiĂšres cuites, profs gĂȘnants, parents intrusifs⊠Le ton balance entre compassion nostalgique et moquerie bienveillante envers ces adolescents qui se dĂ©couvrent Ă leurs dĂ©pends, et nous avec.Â
Alors quâest-ce que ça raconte ? đ
Otis est un jeune lycĂ©en discret qui subit quotidiennement les indiscrĂ©tions de sa mĂšre, une sexologue excentrique et intrusive. Avec son meilleur ami Eric, ils passent totalement inaperçus dans leur bahut de la campagne anglaise mais tout change lorsque Maeve -ado smart et rebelle- sâassocie avec Otis pour crĂ©er une clinique clandestine. Les patients ? Leurs camarades du lycĂ©e, esseulĂ©s en pleine dĂ©couverte de leur sexualitĂ©. Le conseiller ? Otis, notre hĂ©ros puceau qui a mine de rien retenu plus dâune thĂ©orie de sa mĂšre.Â
I. Pourquoi est-ce que la sĂ©rie porte un regard novateur sur lâadolescence ? đ¶đŸââïžđ±
LâADN britannique se ressent bien sĂ»r dans les paysages pittoresques et la bande son Ă©lectrique, mais il transparaĂźt aussi dans lâĂ©criture et son approche familiale de nos hĂ©ros imparfaits Otis, Eric et Maeve. Sex Education sâintĂ©resse en effet Ă lâimpact que le foyer familial peut avoir sur lâadolescence. La sĂ©rie fuit la famille nuclĂ©aire clichĂ©e pour sâĂ©tendre sur des parents divorcĂ©s, une famille nombreuse de parents immigrĂ©s, une famille homo-parentale⊠2020s quoi. Ce cadre complĂšte celui du lycĂ©e et donne immĂ©diatement de la profondeur aux personnages. On est marquĂ© par les pĂ©ripĂ©ties respectives de Jackson et Maeve qui font respectivement face Ă une pression parentale dĂ©mesurĂ©e et Ă lâabandon inĂ©vitable de ses proches. Ainsi les scĂšnes les plus touchantes de la sĂ©rie ont rarement lieu dans lâenceinte du lycĂ©e. La sĂ©rie sâĂ©carte Ă plusieurs reprises mĂȘme du point de vue des adolescents pour prendre celui de leurs parents ou professeurs, donnant du recul aux vives Ă©motions quâils ressentent tout en nous rappelant au passage que lâadolescence est Ă©ternelle et quâon dĂ©couvre toute notre vie qui lâon est -y compris sexuellement.
Et si la psychologie des personnages sâĂ©paissit intelligemment au fur et Ă mesure des Ă©pisodes, c'est en partie grĂące Ă lâexploitation astucieuse du formula show - Ă savoir quand une nouvelle intrigue commence Ă chaque dĂ©but dâĂ©pisode et trouve sa conclusion Ă la fin mĂȘme de celui-ci. Ici ces histoires anthologiques ont deux intĂ©rĂȘts majeurs. PremiĂšrement elle met en avant une plĂ©thore de personnages secondaires -voire tertiaires- attachants, alternant problĂ©matiques graves et lĂ©gĂšres. De plus ce procĂ©dĂ© prĂ©serve la fluiditĂ© de la narration et la cohĂ©rence psychologique des protagonistes puisquâils prennent part de maniĂšre raisonnable Ă ces pĂ©ripĂ©ties anecdotiques parfois absurdes mais toujours drĂŽles.
On regrettera en revanche lâutilisation poussive des triangles amoureux dont on espĂšre voir la fin en troisiĂšme saison. Un procĂ©dĂ© narratif dĂ©cevant bien que globalement, la structure des Ă©pisodes, la variation des lieux -et des points de vue- font de Sex Education une comĂ©die au regard novateur sur lâadolescence et dont le propos est brĂ»lant dâactualitĂ©.
II. Pourquoi est-ce quâon a tous Ă y apprendre ? đ
Sex Education parle -vous lâaurez tous compris- dâĂ©ducation sexuelle, et ce de maniĂšre bien plus ludique et agrĂ©able que votre prof de SVT en 4e. Et lâintrigue part justement du manque dâinformation sur le sujet dans le cadre scolaire, un constat criant et avĂ©rĂ© que la sĂ©rie vient combler de maniĂšre exhaustive. Elle ne rĂ©duit pas la sexualitĂ© Ă un simple acte physique, bien quâelle prenne aussi le temps de traiter cette partie lĂ . MST, libido dâune quinqua divorcĂ©e, dirty talk. On apprend sans tabou ni jugement, tout en gardant une certaine forme de pudeur. Car que ce soit charnel, sentimental ou psychologique le sexe sâinvite sous formes plurielles dans nos relations intimes -ou devrais-je dire humaines- et Sex Education nous rappelle quâil est fondamental de savoir lâapprĂ©hender et dâen parler. La sĂ©rie rĂ©ussit haut la main sa mission dâĂȘtre un mĂ©dia bienveillant qui vient volontiers dĂ©construire les prĂ©jugĂ©s, notamment sur le sexe gay et lesbien, le fonctionnement du plaisir fĂ©minin, et bien dâautres thĂšmes encore Ă venir.
Sex Education conjugue donc intrigues Ă lâĂ©pisode et Ă la saison, une narration didactique qui permet de traiter plus longuement la lente rĂ©paration des blessures invisibles et psychologiques qui peuvent en provenir, comme le divorce des parents dâOtis et ses consĂ©quences sur sa vie sexuelle. Câest subtilement mis en scĂšne et bouleversant. PortĂ© de plus par ces personnages attachants, on comprend mieux ces combats que lâon ne vit pas tous, on en saisit habilement toute lâampleur, du moins pour peu quâon ait un minimum dâempathie. Et câest franchement enthousiasmant de voir une sĂ©rie qui a tant de choses Ă enseigner avoir un tel succĂšs populaire, elle qui est vecteur dâun beau message en passant au premier plan lâeffet cicatrisant de lâamitiĂ© et de la solidaritĂ© -malheureusement trop rare- Ă lâadolescence.
Sex Education nous rappelle donc que ce nâest pas parce quâon traite de lâadolescence que la qualitĂ© ou la pertinence du propos sont mineures. La sĂ©rie sâattaque Ă ce moment charniĂšre de la construction individuelle oĂč lâon transitionne lentement mais violemment vers lâĂąge adulte, oscillant entre envie de sâintĂ©grer et difficultĂ© de trouver sa propre voie. PĂ©riode de vie souvent mise en lumiĂšre sur le petit Ă©cran mais jamais avec autant de justesse et de pĂ©dagogie. Le rĂ©sultat est formidable et câest en un sens rĂ©confortant de voir une Ćuvre de qualitĂ© avoir un tel succĂšs populaire.Â
III. Pourquoi la sĂ©rie fait avancer la reprĂ©sentation des minoritĂ©s et leur combat ? đđ»ââïžâżïžđđżââïž
Grùce à son casting choral et inclusif Sex Education balaye un grand nombre de problématiques trop souvent délaissées. Que ce soit sur les femmes, la communauté LGBTQ+, les personnes de couleur ou bien celles en situation de handicap, la série est un exemple à suivre et nul doute que la troisiÚme saison ira encore plus loin dans leur normalisation.
Mais creusons un peu le fĂ©minisme moderne et complexe portĂ©e par le personnage phare de Maeve (Emma Mackey). MalgrĂ© son cĂŽtĂ© punk, son indĂ©pendance et sa conscience Ă©veillĂ©e, elle est aussi proie Ă lâauto-censure. Et câest grĂące au soutien dâune professeure quâelle va briser ce plafond de verre, doublement vitrĂ© par son milieu dĂ©favorisĂ©. Un enseignement laborieux et totalement dĂ©corrĂ©lĂ© des intrigues sentimentales, relayĂ©es avec grand plaisir au second plan.
En premiĂšre Maeve avait eu recours presque seule Ă un avortement, dans un Ă©pisode fort en Ă©motion qui amenait finement la violence physique et psychologique dâune opĂ©ration trop souvent tabou. La sĂ©rie dĂ©peint ces combats durs et solitaires que les hommes ignorent, sans s'apitoyer sur le sort des femmes. Et la sĂ©rie rĂ©cidive en seconde saison en mettant en exergue la culpabilisation inĂ©vitable des victimes dâagressions sexuelles, la propagation du slutshaming par la gente fĂ©minine et plein dâautres paradoxes qui inhibent encore le dĂ©veloppement dâune plus grande solidaritĂ©. Et la prise de conscience de ce combat par ces adolescentes est longue, plurielle mais tellement jouissive tant lâĂ©motion est vive quand on voit les filles prendre le bus ensemble, une action en apparence anodine devenue un cauchemar pour Aimee suite Ă son agression. Merci #MeToo et Laurie Nunn donc, car oui, câest sans surprise une femme qui est aux commandes de Sex Education.
En parallĂšle la sĂ©rie rĂ©alise un joli tour de force en mettant en avant une belle diversitĂ© sans en faire des tonnes, invitant habilement Ă ĂȘtre fier de nos diffĂ©rences. On salue le recours Ă George Robinson, acteur dans la mĂȘme situation de handicap que le personnage en fauteuil roulant quâil campe. Mais lâautre protagoniste coup de coeur nâest autre quâEric (Ncuti Gatwa) : black et gay, croyant et drag, out et vierge, il est nuancĂ© et singulier. OĂč quand le âmeilleur ami gayâ vole la vedette du hĂ©ros, quoiquâon aime particuliĂšrement lâalchimie de leur duo. Bref Eric a les mĂȘmes problĂšmes de coeur que ses camarades hĂ©tĂ©ros. Ou presque car ĂȘtre gay en 2021 veut encore dire ĂȘtre tributaire de violences, quâelles soient physiques comme lors de son agression lorsquâil est en drag, ou psychologiques avec lâavilissement qui dĂ©coule de lâhomophobie internalisĂ©e de son crush qui les force Ă vivre cachĂ©s. La sĂ©rie aborde ces zones plus grises, loin des clichĂ©s et on lâen remercie de montrer intelligemment pourquoi il est important dâĂȘtre fier de qui lâon est, sans quoi il serait impossible de surmonter les obstacles sociaux qui pullulent encore.
Surtout que derriĂšre le prisme tapageur et intrigant de lâĂ©ducation sexuelle, la sĂ©rie plaide lâacceptation de soi et la solidaritĂ©. De par sa panoplie de personnages aussi variĂ©e quâattachante, la sĂ©rie balaye avec empathie un grand nombre de problĂ©matiques et on a hĂąte de dĂ©couvrir de nouveaux ados et de nouveaux problĂšmes tant cet apprentissage est infini.
Une ambiance unique đđ§
Lâunivers rĂ©solument rĂ©tro de la sĂ©rie et les couleurs chaudes de sa photographie saturĂ©e avec un prisme trĂšs british bien que lâambiance du lycĂ©e soit elle assez amĂ©ricanisĂ©e (pas dâuniforme, couloirs de casiers longilignes, etc.). On pourrait se croire dans les annĂ©es 90 ou 2000 au vu de leur tenue, surtout avec une bande son rock qui fait la part belle Ă ces dĂ©cennies. On croirait presquâĂ un anachronisme quand un smartphone pointe le bout de son nez pour nous rappeler quâon est bel et bien dans les annĂ©es 2020.
Quelles sĂ©ries regarder aprĂšs ?Â
Mixte đ«đ«đ«đ·
Son homologue français tout aussi recommandable
NouveautĂ© 2021 disponible sur Amazon Prime. Mixte souffle un vent de fraĂźcheur sur les productions sĂ©rielles nationales -qui plus est cĂŽtĂ© comĂ©die. Egalement showrunnĂ©e par une femme, l'univers rĂ©tro n'est cette fois pas trompeur car câest bien en 1963 quâon suit les adolescent.es -et profs- du LycĂ©e Voltaire. Egalement en milieu rurale, on comprend vite que la mixitĂ© nâest quâun petit pas vers lâĂ©galitĂ©. Divorce, avortement, lesbianisme. A tous ceux qui pensent que le progrĂšs social va de soi, c'est un triste exemple de la lenteur de son Ă©volution en plus dâun demi siĂšcle. Ceci dit c'est avant tout un visionnage agrĂ©able et amusĂ©. Le Sex Ăducation français je vous dis !
Big Mouth đđ§
Pour remonter quelques années avant et revivre la puberté
Retour chez Netflix mais au collĂšge cette fois dans ce dessin animĂ©e pour adulte tartinĂ© dâun humour trĂšs mĂ©ta et WTF mais parfois lourd. Pour autant c'est rafraichissant, inclusif et une façon originale de revivre cette pĂ©riode ingrate.
Leurs enfants aprĂšs eux đđ” -Nicolas Matthieu
Pour lire un super roman sur lâadolescence en zone dĂ©sindustrialisĂ©e
Un livre. Oh wow. Et oui pourquoi pas ? Et un Goncourt en plus (2018). Lâhistoire se dĂ©roule sur plusieurs Ă©tĂ©s fin des annĂ©es 90 et dĂ©but 2000, et s'attarde Ă l'ennui de ces jeunes adultes pour notre plus grand divertissement. Ah oui, il y a aussi du sexe mais un peu moins dâĂ©ducation.
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