#2. SĂ©lection - Humour British đđŹđ§ : Fleabag, Breeders, We Are Lady Parts
Comique absurde - Amour Impossible - ScÚnes décalées - Famille - Féminisme - Parentalité - Londres - Relations complexes - Emancipation
Nos voisins dâoutre-Manche ont vĂ©ritablement contribuĂ© Ă lâessor des sĂ©ries de qualitĂ© ces derniĂšres annĂ©es -je vous parlais prĂ©cĂ©demment des dramas gĂ©niaux Years and Years et I May Destroy You. Heureusement pour nous, ce savoir faire touche aussi les comĂ©dies avec cet humour si particulier que lâon notait en second plan des mini-sĂ©ries citĂ©es plus haut.
Alors avant dâen vanter quelques-unes, petit commentaire sur la recette gagnante de cet humour so british si vous le voulez bien.
Le format classique est le suivant : 6 Ă©pisodes de 26 minutes. Pas le temps de niaiser donc, les saisons vont droit au but en se concentrant sur un seul personnage souvent paumĂ©, en dĂ©calage avec son environnement mais avec un sens aigu de la rĂ©partie. Loin dâĂȘtre des modĂšles de vie, ces protagonistes ont autant de dĂ©fauts que de qualitĂ©s et câest justement parce quâils sont fonciĂšrement imparfaits que lâon sâidentifie Ă eux. Ils nous charment trĂšs vite -lâaccent aide, Ă©videmment- et on n'essaie pas de les corriger, on les prend comme ils sont, comme la famille.
Et ce nâest pas un hasard car contrairement aux comĂ©dies amĂ©ricaines qui font la part belle aux amitiĂ©s idĂ©alisĂ©es des bandes de potes, les Britanniques sâintĂ©ressent majoritairement aux relations familiales. Entre frĂšres et sĆurs, entre conjoints, entre enfants et parents, mĂȘme avec la belle-famille⊠Câest sĂ»rement ce cĂŽtĂ© humain qui touche : on est plongĂ© dans lâintimitĂ© des protagonistes, on les voit faire de leur mieux ou du moins essayer. Et on a la larme Ă lâĆil plus vite quâon ne le croit quand des sujets plus graves pointent le bout de leur nez : deuil, maladie, divorce, solitudeâŠ
Mais lâessentiel se concentre autour des galĂšres de la vie quotidienne assaisonnĂ©es de dialogues crus, parfois vulgaires mais toujours drĂŽles. Les personnages se retrouvent dans des situations loufoques gĂ©nĂ©ralement nourries par des rĂŽles secondaires absurdes. On redemande vite de cet humour unique qui sâaffranchit du politiquement correct et des clichĂ©s sans jamais tomber dans la moquerie ou la vanitĂ©.
Fleabag
On ne pouvait pas ne pas commencer par Fleabag, le classique de Phoebe Waller-Bridge, multirĂ©compensĂ© en 2019 pour sa superbe seconde saison qui a permis Ă lâactrice et scĂ©nariste quâelle est de rafler un bon nombre dâawards pour sa crĂ©ation, et câest totalement mĂ©ritĂ©. Elle est tellement gĂ©niale quâon la voudrait mĂȘme aux costumes et au montage.Â
Quâest-ce que ça raconte ? đ
Vingtenaire un peu -voire complĂštement- paumĂ©e, Fleabag erre laborieusement entre relations amoureuses chaotiques et son coffee shop dĂ©sertĂ© par la clientĂšle. Elle est aux prises avec les bĂȘtises dans ce Londres loufoque oĂč seule sa sĆur la tire de sa solitude et la pousse Ă aller de lâavant.
Pourquoi câest top ? đ€©
Fleabag est Ă la base une piĂšce de thĂ©Ăątre et ça transparaĂźt tant son gĂ©nie rĂ©side dans ses dialogues et les gestuelles et mimiques tordantes de ses personnages. Le jeu dâacteur de Phoebe Waller-Bridge est formidable, elle nous fait aussi bien rire que pleurer, mais elle nous fait surtout rire. Elle nous interpelle directement, face camĂ©ra, pour des courts monologues -proches de didascalies- redoutablement efficaces. En parallĂšle de la conversation quâelle a, ce double dialogue dĂ©calĂ© a le pouvoir magique de transformer chaque scĂšne en situation comique. Fleabag regorge de second degrĂ©, elle se moque de tout et nâa pas sa langue dans sa poche. Mais sa solitude est saisissante. On a envie de lâaider Ă aller mieux mais ses mauvais choix nourrissent des scĂšnes farfelues quâon ne voudrait pas manquer pour autant.
Si la premiĂšre saison est crescendo, la seconde part de suite sur des chapeaux de roues avec un excellent Ă©pisode en (quasi) huis clos qui rĂ©ussit haut la main ce dur exercice. Et la suite est tout aussi splendide. Lâintrigue dâamour impossible la sied parfaitement et lâalchimie entre elle et ce prĂȘtre catholique atypique crĂšve lâĂ©cran. De mĂȘme pour le trio familial infernal quâelle forme avec sa sĆur et sa belle-mĂšre (Olivia Colman) et les rĂ©pliques assassines quâelles sâĂ©changent.
Fleabag incarne un fĂ©minisme engagĂ© mais jamais moralisateur. Elle parle sans complexe de plaisir fĂ©minin, des rĂšgles, de lâavortement⊠Une femme forte et fragile Ă la fois, un modĂšle qui ne cherche pas Ă en ĂȘtre un. Câest ce qui fait son charme et on espĂšre vraiment que Phoebe Waller-Bridge redonnera vie au personnage dans cinq ou dix ans -comme elle lâa sous-entendu dans une interview ou du moins Ă©mis lâhypothĂšse. Peu probable mais on croise les doigts.
Breeders
Co-production amĂ©ricano-britannique dĂ©voilĂ©e en 2020 sur Canal+ en France, Breeders dĂ©voile lâenvers du dĂ©cor de la parentalitĂ©, ou du moins une version sans filtre et sans romance pour un rĂ©sultat aussi drĂŽle que touchant portĂ© par Martin Freeman et Daisy Haggard.Â
Quâest-ce que ça raconte ? đ
Câest lâhistoire dâAlly et Paul -parents de Luke et Ava, 11 ans Ă eux deux- et de leur galĂšres de couple, de jeune famille mais câest surtout le rĂ©cit de cet amour inconditionnel quâils Ă©prouvent envers ces ĂȘtres qui les rendent aussi heureux que fous.Â
Pourquoi câest top ? đ€©
Breeders est, dans son approche dâun sujet aussi universel que la parentalitĂ©, assez british en somme. Elle part du pire pour aller vers le meilleur en commençant par un pĂšre Ă bout de nerfs, Ă©puisĂ© par le rythme infernal imposĂ© par ses enfants. Il a beau les aimer, les Ă©lever reste Ă©nergivore et stressant et ça ne fait pas ressortir son meilleur portrait. On est proche de lâanti-hĂ©ros, un choix rare dans une comĂ©die sur un pĂšre de famille et câest un renouveau osĂ© qui repose en partie sur le superbe jeu dâacteur de Martin Freeman, qui rend rapidement son personnage attachant. Breeders sâaffranchit du politiquement correct dans sa reprĂ©sentation de la famille nuclĂ©aire et câest -il faut lâavouer- hilarant. Car cet amour inconditionnel que portent les parents Ă leur progĂ©niture les poussent Ă agir sans Ă©thique dans bien des situations oĂč lâĂ©goĂŻsme (familial) lâemporte. Ce pragmatisme irrationnel devient vite dĂ©lirant quand il sâinvite Ă lâĂ©cole, Ă lâhĂŽpital ou dans le foyer. La sĂ©rie se moque Ă©galement du regard des autres et on en rit avec compassion tant ces inconnus jugent avec insistance des parents qui font de leur mieux.
Si les premiers Ă©pisodes sont un poil brouillons voire bruyants, la sĂ©rie trouve nĂ©anmoins rapidement son rythme et touche la corde sensible en montrant les sentiments paradoxaux que peuvent Ă©prouver de jeunes parents. Elle sâattarde autant sur les enfants du couple que leur propres parents, une drĂŽle dâĂ©popĂ©e intergĂ©nĂ©rationnelle et attendrissante. Ils ne sont pas toujours Ă©panouis, loin de lĂ , et ça fait du bien de voir Ă lâĂ©cran une famille qui nâest ni idĂ©alisĂ©e, ni totalement dysfonctionnelle.
La sĂ©rie Ă©toffe son propos en abordant des sujets liĂ©s Ă ce travail Ă plein temps. Que ce soit sur la relation avec les instituteurs, la question du mariage, la place non nĂ©gligeable dâune carriĂšre professionnelle ou lâimpact considĂ©rable sur le couple, tantĂŽt fragilisĂ© tantĂŽt renforcĂ© ; la sĂ©rie a bien des choses Ă dire. Breeders nous rappelle chaleureusement que la vie est pleine dâimprĂ©vus et câest pour ça que la famille est aussi importante, une constante dans un ocĂ©an de variables parfois hostiles.
We Are Lady Parts đŻââïžđžđ
NouveautĂ© 2021, câest une pĂ©pite qui figure dâores et dĂ©jĂ au panthĂ©on des comĂ©dies britanniques les plus drĂŽles et les plus originales. CrĂ©Ă©e par Nida Manzoor, elle nous emmĂšne dans les prĂ©mices fous dâun groupe de rock pas comme les autres.
Quâest-ce que ça raconte ? đ
La nouvelle vie dâAmina -jeune femme sĂ©rieuse et discrĂšte- qui voit son quotidien chamboulĂ© quand elle rejoint par accident Lady Parts -groupe de punk musulman fĂ©minin, Ă la recherche de sa nouvelle guitariste.
Pourquoi câest top ? đ€©
Avec We Are Lady Parts difficile de ne pas rire. Son humour repose sur le fort dĂ©calage entre Amina -habituĂ©e Ă des amies plutĂŽt conservatrices- et son nouveau groupe de punk quâelle nâassume pas vraiment et qui la pousse Ă mener une drĂŽle de double vie, mais jusqu'Ă quand ? Elle qui, telle une enfant, a un trac terrible, fait forcĂ©ment tĂąche sur scĂšne au milieu de son band. A ce comique de situation s'ajoute la superbe gestuelle des actrices, sublimĂ©e par un montage dynamique qui double les grimaces et actions dâAmina de bruitages efficaces. Et câest quand Amina laisse courir son imagination quâelle finit de nous sĂ©duire, nous faisant vivre les scĂšnes Ă la maniĂšre dâun vieux film en noir et blanc ou dâune Ă©mission tĂ©lĂ© bas de gamme âRate my dateâ, des sortes de mĂ©taphores visuelles imprenables et bien ciselĂ©s qui renforce le comique du scĂ©nario.
We Are Lady Parts prend donc le meilleur de la pop et du rock pour un rĂ©sultat rĂ©ussi et rĂ©solument british. On comprend quâon est face Ă une grande sĂ©rie quand on Ă©coute en boucle sur Spotify âVoldemort is under my headscarfâ, leur titre gentiment provocateur qui se moque de lâislamophobie ordinaire et de ceux qui sont gĂȘnĂ©es par leur port du voile. Dans un premier temps dâabord la sĂ©rie met de cĂŽtĂ© la politique et bouscule les codes en proposant simplement une reprĂ©sentation plurielle et moderne des femmes musulmanes. Loin des clichĂ©s, chacune vit sa foi Ă sa maniĂšre mais cela devient forcĂ©ment politique lors du cinquiĂšme Ă©pisode oĂč un mĂ©dia en ligne sâen mĂȘle et sâefforce de les faire rentrer dans des cases. Avec son Ă©nergie communicative, We Are Lady Parts est un hymne au punk, Ă ceux qui disent leur vĂ©ritĂ© sans complexe et Ă cette nouvelle sororitĂ© qui va permettre Ă notre chĂšre Amina de sâĂ©manciper et trouver sa voie en chantant.
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