#3 Critique - Dave (aka Lil Dicky) - drôle, attachante et engagée, comment ne pas l'aimer ?
Humour - Rap US - Envie de Percer - Décalé - Star System - West Coast - Amour & Amitié - Racisme - Situations improbables
Connu pour ses tubes avec Snoop Dogg et Chris Brown entre autres, Lil Dicky est un rappeur américain au succès encore assez confidentiel en France. Sans trop prévenir, l’artiste a sorti au printemps 2020 une série amplement inspirée de sa carrière musicale. La saison 2 étant actuellement en cours de diffusion, c’est l’occasion de revenir sur la prometteuse première qui révélait les talents comiques indéniables du rappeur-acteur, également au commande en tant que créateur et scénariste.
Produite par la chaîne américaine FX, Dave (aka Lil Dicky) -qu’on appellera plus simplement Dave- est une vraie pépite de 10 épisodes de 25 minutes disponible en France sur Canal+, une sorte d’american dream 2.0 dans un Los Angeles estival où tout peut arriver, le meilleur comme le plus drôle.
Alors qu’est-ce que ça raconte ? 👀
C’est l’histoire de Dave -alias Lil Dicky (petite bite en français)- un vingtenaire convaincu d’être l’un des plus grands rappeurs de sa génération. Bien qu’il ne partage pas grand-chose avec l’image habituelle de ce milieu légèrement plus thug, il est déterminé à prouver à toute la Terre que sa place est au sommet.
I. Pourquoi c’est si drôle ? 🤣
Dave trouve le bon équilibre entre autodérision et ego-trip, alternant moqueries de sa mâchoire prognathe et de son corps de lâche avec vantardises prophétiques de sa folle ambition de devenir le nouveau King du rap US. Alors génie incompris ou rappeur d’anniversaire ? C’est la drôle de question qui colle à la peau du rappeur -et qu’il ne cherche pas vraiment à décoller en enchainant freestyles de talent et challenges viraux risibles.
Ainsi la série se démarque grâce à son humour décalé qui voit Dave se plier en quatre pour satisfaire les requêtes d’inconnu.es ou vagues connaissances. Et on en redemande. Il a tellement à cœur de bien faire, qu’il se retrouve dans des situations inimaginables où il doit remplir un cahier des charges improbable. Entre exigences parentales impossibles et cohérence artistique, on assiste à des séances d’écriture et de répétitions légendaires lorsque Dave est contraint de faire sa première performance live pour la cérémonie d’un enfant défunt qu’il n’a jamais rencontré. Et si c’est aussi hilarant, c’est parce qu’on le suit de A à Z dans ses missions périlleuses aux consignes explicites. Un peu comme au théâtre d’improvisation où le public est dans la confidence des contraintes qui incombent aux comédiens, un procédé implacable qui de par la compassion qu’il induit, décuple les rires provoqués par les mésaventures de notre héros.
Si la première saison mérite son titre de meilleure comédie de 2020 c’est bien parce que la seule chose sur laquelle Dave ne blague pas c’est la qualité d’écriture : punchlines irrésistibles, dialogues construits et blagues à retardement. Dave ne tombe pas dans l'enchaînement de vannes faciles, clichées et lourdes -hello La Flamme. Bien au contraire, les scénaristes ont construit dès les premiers épisodes une large bibliothèque de private jokes dans laquelle ils peuvent allègrement piocher pour conclure n’importe quelle scène par un clin d’œil ou une chute redoutablement efficace. Résultat : un comique de répétition agréable et surprenant -hola la table de milking.
Dans Dave, rien n’est laissé au hasard, mais tout n’est pas surligné pour autant. La série ruse par une mise en scène fluide où les drôles de mimiques des acteurs -et surtout des figurants- se superposent aux dialogues. Dans le premier épisode, Dave est dans la queue de la banque, au téléphone avec ses parents pour leur expliquer qu’il va transférer tout l’argent de sa bar mitzvah à un inconnu qui lui garantit un featuring avec un rappeur de renom. Pendant ce temps-là, les images montrent sa bataille de regards avec un enfant et l’installation laborieuse de ses parents dans leur voiture. Bon il faut peut-être le voir pour y croire mais une chose est sûre, il faut le voir !
II. Pourquoi c’est touchant ? 🥰
La structure de la première saison est simple, on suit d’abord Dave dans des péripéties légères et amusantes, puis une fois l’univers installé, la série s’ouvre à des sujets plus lourds qui donnent naturellement de la profondeur aux personnages. Comme si on passait avec émotion de copain à ami, grâce à une écriture avisée.
A commencer par Dave, ce grand enfant qu’on a envie de protéger tant sa naïveté et sa bonté lui jouent des tours. Il y a quelque chose de touchant quand il réalise 15 ans trop tard qu’il était plus un clown dont les autres adolescents se moquaient qu’un véritable comique. Dave se met à nu, dévoilant ses débuts avec recul et critique. Mais ce n’est pas le seul : son hype man GaTa révèle sa bipolarité dans l’émouvant épisode 5. Une sorte de coming out particulièrement difficile pour une personne issue des quartiers chauds de Los Angeles, une confession faite par l’acteur lui même dans des interviews récentes où l’on apprend qu’à l’instar de son personnage il est bipolaire et bel et bien le hype man de Dave dans la vraie vie.
De manière générale, la série parvient à nous faire aimer tous les personnages secondaires en seulement trois bonnes heures. Et si leur développement est remarquable, celui des relations qu’ils nouent l’est tout autant. La série s’attaque avec sincérité au fossé croissant qu’installe la notoriété du chanteur dans son couple. Si sa vie privée et sa vie publique se confondent, l’écart entre celle qu’il aime et le chemin du succès est croissant. Une impasse qui nous brise le cœur sans être tire-larmes. D’un côté Ally soutient Dave dans sa percée et elle profite des moments hors du commun que son succès amène. D’un autre, elle est en première ligne des dommages collatéraux causés par Lil Dicky. A commencer par le tweet du premier épisode “just got head”, aussi drôle qu’embarrassant et qui marque le début d’une série d’inconsidérations causées par l’ambition du rappeur. Leur divergence devient même centrale et est sublimée dans le déchirant épisode 9, qui démontre une nouvelle fois que Dave a plus d’une corde à son arc.
On aurait d’ailleurs aimé voir davantage Ally et sa coloc, la série délaissant quelque peu les personnages féminins. Peut-être parlera-t-elle un jour tout aussi habilement de la domination masculine excessive du milieu du rap, mais ce n’est qu’une suggestion pour compléter les nombreux sujets de fond déjà abordés en première saison.
III. Pourquoi c’est pertinent ? 👊
Ecrire une comédie, c’est faire le portrait de la société en dépeignant progressivement le quotidien des personnages. Ici tout gravite autour de Dave, à savoir un homme blanc hétéro cis genre qui se décrit par son pénis. D’aucuns pourraient s’insurger qu’il ne peut plus rien dire en 2020. Or Dave prouve tout le contraire. L’artiste saisit l’opportunité pour traiter avec finesse d’importants sujets comme la masculinité toxique et les questions raciales.
La série commence en effet par une scène où Dave rentre dans une description détaillée de son entrejambe chez son urologue, pierre angulaire de son personnage atypique, à interpréter comme un commentaire ironique sur la masculinité toxique. Dave est certainement le premier rappeur à parler de son sexe sans en vanter la taille ou d’autres prouesses fallacieuses. Bien sûr, cela ne suffit pas pour qu’on l'applaudisse des deux mains, mais ça ne fait jamais de mal de sortir des clichés.
La série garde le cap en représentant simplement les relations qu’entretient Dave avec ses amis, notamment Mike avec qui il est très intime. On les découvre nus dans le bain, luttant contre l’acné dorsale du protagoniste, sans commentaire. C’est simple mais rare de voir un rappeur suffisamment confiant dans sa sexualité pour ne pas laisser des actes anodins le définir. Et Dave n’hésite pas à aller plus loin lorsqu’il s’imagine sans complexe faire une fellation à un prisonnier, mais ça c’est une autre histoire. Ainsi, que ce soit avec auto-dérision ou non, Dave détoxifie la masculinité de manière sous-jacente et il en a une sacré paire pour une petite b*** !
Autre mérite de Dave, c’est de montrer que l’importance des questions raciales n’est pas réservés qu’aux personnes de couleur. Dave a conscience de son privilège et il en parle à plusieurs reprises, ne remettant jamais en cause les sentiments ou constats amenés par ses amis noirs sur ces sujets brûlants d’actualité.
Ici les rôles sont comme inversés : on suit un homme blanc qui tente de percer dans un monde où sa couleur de peau n’est pas dominante. Et la série dénonce le racisme ordinaire qui en découle et qui s’immisce dans des comparaisons déplacées -comme entre Lil Dicky et Macklemore, un autre rappeur avec qui il ne partage rien d’autre que sa couleur de peau.
Lorsqu’on reproche à Dave d’avoir un hype man black uniquement pour valider sa street cred, c’est GaTa lui même qui vole à son secours dans un discours authentique où ses propos résonnent d’autant plus qu’il est son meilleur pote dans la vraie vie. La série dénonce explicitement le danger des préjugés : alors écoutons les artistes avant de les mettre dans des cases !
L’atout charme 🎶
Les innombrables guests venus jouer leurs propres rôles avec en tête les rappeurs Young Thug, Macklemore, Gunna, Trippie Redd… Mais aussi le chanteur Justin Bieber, le producteur Benny Blanco, le DJ Marshmello ou encore la star de la télé-réalité Kourtney Kardashian. Et c’est sans surprise tant l’aura de Lil Dicky avait déjà rassemblé une ribambelle d’artistes en 2019 sur sa chanson Earth, un titre caritatif pour sensibiliser le public américain aux questions environnementales.
Et en VF ça donnerait quoi ? 🇫🇷
Qui chez nous pourrait reprendre le rôle ? Car Lil Dicky, c’est un peu un mix entre la bienveillance de BigFlo & Oli, le second degré de Michel et l’humour d’Orelsan. Une sorte de fiction que Fatal Bazooka pourrait porter à l’écran s’il avait le talent de Nekfeu. Bref, un cocktail aussi bancal que détonnant, qui résume bien l’unicité de ce rappeur-acteur qui nous a convaincu de son immense talent.
Quelles séries regarder après ça ?
Brooklyn 99 👮♂️🤣
Pour son humour tout aussi efficace et engagé
Bien sûr le parallèle est d’autant plus amusant que Lil Dicky est dans la série comparé à Lonely Island, le groupe de rap satirique d’Andy Samberg, alias détective Jake Peralta du célèbre 99e district de Brooklyn. La comédie new yorkaise partage le rythme virevolté de Dave avec bon nombre de quiproquos, de comique de répétition et de références pop. Mais là où leurs génies se croisent c’est bien quand les épisodes soulèvent avec justesse et intelligence des problématiques actuelles importantes portés par un cast inclusif. Un parti-pris croissant au fur et à mesure des saisons et qui contribue à faire de Brooklyn 99 la sitcom référence de ces dernières années. A dévorer sur Netflix.
Middleditch & Schwarz 🙋🏻♂️💁🏼♂️
Pour encore plus de scènes absurdes de talents
Cette fois direction le théâtre d’improvisation (pour continuer le parallèle) avec deux acteurs américains connus du petit écran : Thomas Middleditch (Silicon Valley) et Sebastian Schwarz (Parks and Recreation). Avec trois spectacles d’une heure disponibles sur Netflix, on attend la suite avec impatience tant on se régale devant ses cerveaux en ébullition et leur imagination débordante. Fort à parier que vous applaudirez à la fin du show comme si vous étiez !
The Other Two 🎥👫
Pour continuer avec deux autres ascensions difficiles au sein du star system
Quand leur petit frère devient une sensation virale musicale du jour au lendemain, Brooke et Cary tente de s’accrocher à ce nouveau succès pour lancer leur carrière d’acteur et manager jusqu’alors au point mort. Plus pop que Dave, The Other Two est tout aussi irrésistible avec son ton parodique et sa critique acerbe d’une Amérique contemporaine et son rapport pervers à la célébrité. Impossible de s’ennuyer avec les scènes rocambolesques de nos deux protagonistes auxquels on s’attache vite et qu’on espère revoir bientôt en saison 2.
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